
«Plus qu’une grande démission, des petites transitions», affirme Alexandre Viros, président d'Adecco
- blogfoadecco
- 5 janv. 2023
- 7 min de lecture
Le président d’Adecco France, Alexandre Viros, observe une dynamique des embauches toujours soutenue et plaide pour que les entreprises s’impliquent dans la formation.
Comment avez-vous analysé l’évolution des embauches à la fin de l'année 2022 ?
Alexandre Viros. - Ce que je vois sur le terrain, c’est que le sujet de l’énergie, existentiel pour nombre d’entreprises, crée de l’angoisse et de l’incertitude sur l’avenir. L’emploi est l’autre gros souci, car beaucoup de postes ne sont pas pourvus. Une entreprise industrielle sur quatre en Europe considère que la difficulté d’accès à la ressource humaine bride son activité. Cette crise ne se traduit pas encore par une contraction de l’emploi. Il n’y a jamais eu autant d’offres d’embauche qu’aujourd’hui. C’est sans doute dû à un effet de rattrapage post-pandémie et au taux encore faible de défaillances d’entreprises. Paradoxalement, dans un secteur comme l’automobile, même s’il y a eu des destructions d’emplois, il reste 30 000 postes non pourvus, et dans la logistique, il manque des milliers de chauffeurs poids lourds.
N’y a-t-il pas des projets d’embauche repoussés ?
À ce stade, que ce soit dans les métiers de la logistique, de la production ou de l’e-commerce, il n’y a pas un arrêt de la demande, mais un problème de pénurie et d’inadéquation entre l’offre et la demande.
Comment expliquez-vous ces tensions ?
D’abord, il y a l’attractivité de certaines filières, avec des problèmes de rémunération accrus par le contexte d’inflation. Ensuite, il existe un décalage entre les compétences recherchées et celles existantes. Enfin, il faut prendre en compte le sujet de la mobilité géographique, aggravé par le renchérissement du prix de l’essence. Même faire 20 ou 30 kilomètres devient compliqué.
Comment lever ces freins ?
Les filières doivent faire des efforts pour être plus attractives dans leur rémunération ou en proposant des trajectoires professionnelles. Et elles doivent valoriser leur activité par une stratégie marketing. Dans le BTP par exemple, on peut commencer au bas de l’échelle et grimper. Si on a une fibre managériale ou entrepreneuriale, il y a des opportunités. Il faut aussi mieux activer la formation tout au long de la vie et la validation des acquis de l’expérience. Cela fait vingt ans qu’on le dit. J’ai la chance d’être dans un groupe international et j’observe que dans d’autres pays, pour les entreprises, former et moins se focaliser sur le diplôme et les certifications est une seconde nature. L’apprentissage en situation de travail, c’est là où ça doit se passer.
On a pourtant multiplié les réformes de la formation...
Oui et c’est bien. Pour que ça marche, il faut le concours de trois parties prenantes. D’abord, les pouvoirs publics, dont on attend beaucoup mais qui ne peuvent pas tout faire. Ensuite, les entreprises, qui doivent être moins conservatrices et considérer la formation non comme un coût mais comme un investissement. Notre propre groupe investit 120 millions d’euros par an dans des formations qui bénéficient au final aux entreprises utilisatrices d’intérim. Et enfin, les individus eux-mêmes, qui doivent être dans une dynamique d’apprentissage. Le problème géographique est plus compliqué, dans un pays qui compte beaucoup de propriétaires. La bonne approche est territoriale. Il y a des exemples positifs mais encore anecdotiques, où des entreprises organisent les déplacements des travailleurs dans une logique mutualisée. Pour cela, il faut travailler main dans la main avec les pouvoirs locaux. En France, des bassins avec un taux de chômage à 3 % côtoient des zones avec un taux à 15 %.
Faut-il revoir la manière de recruter ?
Oui. Je suis un fervent partisan du recrutement sans CV. Dans un moment où tout bouge tellement, on ne peut pas recruter des gens pour faire aujourd’hui ou demain ce qu’ils ont déjà fait hier. On est passé de métiers très physiques à des métiers associés au digital, à une tablette, et qui demanderont probablement demain de savoir faire du code informatique. Pour un métier donné, nos statistiques montrent que la durée pendant laquelle une compétence reste pertinente est de deux à trois ans, quand elle était plutôt de vingt ans dans les années 1980-1990. On raisonnait alors en stock de compétences, acquis à un moment et gardé tout au long de sa vie. Il faut désormais raisonner en flux de compétences. Pour les patrons de PME, pour qui c’est compliqué de former, Adecco peut prendre en charge le sourcing et la formation adéquate.
Qu’attendez-vous de France Travail ?
Nous sommes associés à la réflexion. Nous croyons beaucoup au partenariat public-privé. Nous sommes déjà très liés à Pôle emploi, avec qui nous connectons nos bases de données et avons des projets très ambitieux. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons déjà signé un accord où nous nous sommes engagés à recruter 2 000 personnes en CDI intérimaire.
Le phénomène de « grande démission » est-il réel, selon vous ?
Nous venons de réaliser une étude internationale sur 30 000 salariés, dont la moitié de cols blancs et l’autre de cols bleus. Elle montre des salariés beaucoup plus ouverts à de nouvelles opportunités, plus mobiles, qui ont conscience de leur valeur et d’un rapport de force qui s’inverse en leur faveur. Mais c’est loin d’être la grande démission. Il s’agit plutôt de petites transitions... d’un secteur à un autre. Les gens sont raisonnables et n’envisagent pas de faire « tabula rasa ». Pour un banquier d’affaires qui se met à la permaculture, on compte des centaines de salariés qui veulent juste un job correctement rémunéré, intéressant et bien managé. Et je trouve cela sain.
Sur le choix des entreprises par les salariés, constatez-vous des évolutions ?
Nous sommes surpris par un phénomène en augmentation : le « no show » , c’est-à-dire des gens qui ne se présentent pas à leur poste. Ce sont en général des intérimaires qui ont répondu à plusieurs offres à la fois et qui changent d’avis au dernier moment. Dans le recrutement digital, on rappelle d’ailleurs la personne peu de temps avant la mission et la signature du contrat pour s’assurer qu’elle va venir.
Est-ce que l’on a bien su anticiper les besoins des métiers ?
Intellectuellement, oui. Mais concrètement, on constate des difficultés à préparer ces mouvements, aussi bien dans des métiers techniques, comme la cyber, ou très opérationnels, comme la soudure, la conduite de ligne, la maintenance robotique. On mise toujours sur de grandes entités : le gouvernement, l’Éducation nationale, les grandes entreprises. Nous sommes un pays de PME et le pouvoir politique local a un rôle à jouer. Nous avons beaucoup de données sur l’emploi, une expertise de formation que nous sommes prêts à partager. C’est une question d’écosystème. Récemment, le groupe Adecco a noué un partenariat historique avec Renault, Auto ADE-RE, pour gérer la mutation vers l’électrique qui a un effet domino sur toute la chaîne de valeur. Nous allons anticiper les changements, apporter de l’aide pour la montée en compétences à une maille locale. Et les principaux concernés ne seront pas les gros faiseurs mais les PME et nos agences sur le terrain.
Le président de la République acte, avec la réforme des retraites, le fait de travailler plus longtemps. Comment gérer le problème d’emploi des seniors qui paraît insoluble depuis vingt ans ?
J’apporterais une nuance. Par rapport aux autres pays européens, nous ne sommes pas si à la traîne. Nous avons surtout un retard sur les 60-64 ans, et la réforme va mécaniquement créer plus d’activité pour cette classe d’âge. Il faut sans doute réfléchir à travailler plus longtemps mais différemment. On peut imaginer moduler la durée travail. Il faut surtout lutter contre la discrimination liée à l’âge, qui est l’une des premières discriminations à l’embauche. Il ne faut plus parler de seniors ni d’aînés. La valeur d’une personne qui a de l’expérience, ce n’est pas seulement d’enseigner le tricot à ses petits-enfants. L’expérience crée des capacités d’innovation qui sont gommées dans l’esprit des chefs d’entreprise et de la société. Dans certains cas, lorsque les fondateurs de start-up ont dépassé 45-50 ans ou 60 ans, cela devient un élément défavorable à la levée de fonds. On ne se dit pas que la patine du temps ou même les erreurs que l’on a commises et la façon dont on a pu les corriger ont de la valeur pour monter une entreprise. Nous sommes un grand promoteur du capital humain dont il faut reconnaître toute la valeur constituée dans le temps. Il ne s’agit pas d’embaucher les plus âgés par charité, mais bien pour ce qu’ils peuvent apporter.
Un rapport de l’Institut Montaigne propose de moduler les cotisations patronales selon l’âge des salariés : elles seraient plus faibles pour les jeunes et les seniors, plus élevées pour les personnes en milieu de carrière. Cette idée vous semble-t-elle intéressante ?
Nous avons contribué à ce rapport, mais sur cette proposition spécifique, le diable est dans les détails. Longtemps, il était plus acceptable de se séparer des seniors et de recruter des jeunes... que l’on n’a pas toujours recruté d’ailleurs. Ce qui va dans le sens de l’embauche des seniors est intéressant, mais l’effet pervers, c’est d’embaucher un senior parce que son emploi est subventionné. À 60 ans, on n’atteint pas sa date de péremption.
Que pensez-vous de la réforme de l’assurance-chômage ou de règles plus strictes qui supprimeraient les allocations en cas de refus de CDI après deux CDD dans une entreprise ?
En période de pénurie, c’est normal d’inciter à l’emploi, et quand celui-ci se contracte, il faut être plus protecteur. À titre personnel, je trouve qu’une société se porte mieux avec des actifs. Mais attention, il faut veiller à ne culpabiliser personne, mais « inciter » à aller travailler.
« L’industrie, ce n’est plus Zola », déclarait Bruno Le Maire à L’Usine Nouvelle en octobre. Êtes-vous confronté à des jeunes qui vous disent : « Je ne veux pas y aller car c’est dur, c’est sale, c’est bruyant » ?
L’industrie a modifié son image favorablement. L’expertise qu’elle suppose, sa capacité d’innovation ont permis de corriger ses codes. Je visite beaucoup d’usines et je remarque des changements très profonds dans la qualité de vie, l’ergonomie des chaînes de production et même les lieux de convivialité. Sans vouloir repeindre l’industrie en rose, je trouve que beaucoup d’efforts ont été faits et qu’elle propose des métiers où l’on peut évoluer.
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